Muriel Giacopelli
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille, Directrice honoraire de l’ISPEC
Alors que dans une précédente affaire, la cour de cassation avait refusé de transmettre une QPC portant sur la conformité de l’article 742 du code de procédure pénale, elle a enfin accepté sur une question ayant la même portée de renvoyer devant le Conseil constitutionnel une QPC portant sur la conformité à l’article 16 DDHC de la saisine d’office du JAP. Le préalable du renvoi était déjà pour les juges d’application des peines un véritable soulagement eu égard la déclaration de non conformité de la saisine d’office du tribunal de commerce pour l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire. Devant l’incertitude créée par cette décision, quoique portant sur un tout autre domaine, les juges d’application des peines avaient pris l’habitude plutôt que de s’auto-saisir, d’informer le parquet de la violation des obligations afin que ce dernier les saisisse.
A l’origine de la QPC posée au Conseil constitutionnel, se trouve la condamnation du requérant à deux reprises en 2014 et 2015 par des décisions devenues définitives respectivement à 18 mois d’emprisonnement avec sursis avec mise à l’épreuve pendant une durée de 2 ans et à 8 mois d’emprisonnement avec sursis avec mise à l’épreuve d’une durée de 2 ans. Plusieurs rapports du SPIP ayant indiqué que le requérant ne déférait plus aux convocations des travailleurs sociaux, le JAP, après débat contradictoire, a révoqué à hauteur de 4 mois et un an les SME et a ordonné l’exécution des peines d’emprisonnement. Le condamné ayant fait appel a soulevé devant la CHAP une QPC portant sur la constitutionnalité de l’article 712-4 du Code de procédure pénale ainsi libellé : « la saisine d’office par le JAP, en application de l’article 712-4 du Code de procédure pénale, y compris pour prononcer des mesures défavorables au condamné est-elle conforme à la constitution, alors que cette faculté est susceptible d’être contraire au principe général de la séparation des organes de poursuite et de jugement et au principe d’impartialité de la juridiction ? ».
La séparation des fonctions de poursuite et de jugement et l’impartialité des juridictions sont les qualités nécessaires au bon fonctionnement de la justice. Ces garanties institutionnelles complètent le droit d’accès à un tribunal. Après avoir rappelé le principe puisé dans l’interprétation de l’article 16 DDHC selon lequel, « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ; que le principe d’impartialité est indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles », le Conseil constitutionnel dans la décision du 10 novembre 2017 QPC a jugé que le juge d’application des peines agit (…) dans un cadre déterminé par la juridiction de jugement ; que n’introduisant pas de nouvelle instance la saisine d’office du juge d’application des peines n’est pas contraire à la constitution. Le conseil constitutionnel a cependant assorti la décision d’une réserve d’interprétation « dès lors, le juge d’application des peines ne saurait, sans méconnaître le principe d’impartialité, prononcer une mesure défavorable dans le cadre de la saisine d’office sans que la personne condamnée ait été mise en mesure de présenter ses observations ».
Si pour le pénaliste, la solution peut surprendre, elle est dans la lignée des précédentes décisions rendues par le Conseil constitutionnel conformément pour l’application des garanties fondamentales au repérage préalable de l’existence d’une sanction ayant le caractère de punition. Le conseil rappelle en effet sa propre jurisprudence selon laquelle « une juridiction ne saurait en principe disposer de la faculté d’introduire spontanément une instance au terme de laquelle elle prononce une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée. La Constitution ne confère pas à cette interdiction un caractère général et absolu sauf si la procédure a pour objet le prononcé des sanctions ayant le caractère d’une punition. Dans les autres cas la saisine d’office d’une juridiction ne peut trouver de justification qu’à la condition qu’elle soit fondée sur un motif d’intérêt général et que soient instituées par la loi des garanties propres à assurer le respect du principe d’impartialité ».
Constatant aux termes de l’article 712-1 du Code de procédure pénale qu’il appartient au juge d’application des peines de fixer les principales modalités de l’exécution des peines privatives de liberté ou de certaines peines restrictives de liberté, le Conseil en déduit que le juge d’application des peines se saisissant d’office ne crée pas de nouvelle instance puisqu’il ne fait que suivre l’exécution du condamné. La solution consistant à sortir du champ de la peine la révocation du sursis avec mise à l’épreuve ne surprend guère au regard de la solution transposable adoptée par le Conseil à propos du retrait des réductions de peines « qui a pour conséquence que le condamné exécute totalement ou partiellement la peine telle qu’elle a été prononcée par la juridiction de jugement ». La saisine d’office n’est prohibée que pour les mesures ayant pour objet le prononcé de sanctions ayant le caractère de punition. Dans les autres cas, le Conseil constitutionnel la tolère à une double condition l’existence d’un motif d’intérêt général qui ne pose guère de difficultés en l’espèce puisque le juge d’application des peines statue au regard de la double finalité d’insertion et de réinsertion d’une part et la protection de la société d’autre part, et les garanties légales propres à assurer le respect d’impartialité. C’est sur ce second aspect que porte la réserve constitutionnelle au regard de l’existence de procédures autonomes en exécution des peines.
Aux termes des dispositions générales de l’article 712-4 du code de procédure pénale définissant la compétence du juge d’application des peines, les mesures de sa compétence peuvent être « accordées, modifiées, ajournées, refusées, retirées ou révoquées par ordonnance ou jugement motivé de ce magistrat agissant d’office sur la demande du condamné ou sur réquisitions du procureur de la république ( …) ». Selon que le juge statue par voie de jugement ou par voie d’ordonnance, la décision du juge pourra être prise sans débat contradictoire. Dans cette dernière hypothèse, le Conseil constitutionnel impose alors que le juge, lorsqu’il doit prononcer une mesure défavorable le fasse a minima en permettant à la personne condamnée de présenter ses observations.
La décision rendue au visa de l’article 16 de la DDHC est assurément une décision marquante en ce que le Conseil constitutionnel applique au droit de l’exécution des peines les garanties d’un juge indépendant et impartial qui respecte une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties. La portée de la réserve d’interprétation est en définitive moins grande s’agissant de la révocation du SME, objet de la QPC, laquelle intervient après débat contradictoire, que pour toutes les autres mesures qui conduisent au maintien ou au retour de l’intéressé en prison et qui en ce sens sont bien défavorables à la personne condamnée, lesquelles sont prises sans débat. Sont ainsi visées les réductions de peine, les autorisations de sortir sous escortes ou les permissions de sortir. Il est prématuré d’y voir une soumission aux règles du procès équitable (Contra : M Herzog-Evans, Quel avenir pour les procédures juridictionnelles, AJ pénal 2017, p. 538 , même si l’on ne peut qu’être favorable à une telle exigence qui devrait être commune à l’ensemble des procédures dès lors que la mesure peut être attentatoire aux libertés individuelles.
La décision QPC est cependant moins convaincante s’agissant de l’affirmation selon laquelle lorsque le juge d’application des peines se saisit d’office, il ne crée pas une « nouvelle instance ». Même si l’exécution des peines est bien l’ultime phase du procès pénal, se situant dans un continuum que consacre formellement le livre Vème du Code de procédure pénale, il paraît difficile de conclure à l’absence d’ouverture d’une action dédiée en présence de juridictions spécialisées de premier et de second degré. S’agissant en outre de l’autorité de la chose jugée à laquelle fait allusion le Conseil Constitutionnel, elle fait l’objet d’une application singulière au stade de l’exécution des peines (B. Bouloc, Regards croisés sur la chose jugée en matière pénale, Mélanges en l’honneur du Pr Jacques-Henri Robert, Lexis nexis 2012, p. 65). Si l’objet de l’instance demeure l’exécution d’une décision de condamnation prononcée par une juridiction autre que la juridiction de l’application des peines, il est indéniable que son exercice montre toute l’étendue des pouvoirs du JAP. L’aménagement intervient sur un élément existant qui est la peine mais dont l’objet est nouveau.